PP020

Nexus
La forme des idées

Nexus

Exposition
03.2011 — 05.2011

Commissariat
Nexus
Glassbox

Artistes
Guillaume Combal
Laetitia Delafontaine et Grégory Niel (DN)
Stéphane Despax
Gianni Gastaldi
Patrice Maniglier
Florelle Michel
Michel Martin
Élisabeth Pecheur
Geoffroy Sanchez
Ludovic Sauvage

Lieu
Campus HEC

Le mot nexus désigne les objets les plus divers qui vont de la jonction intercellulaire dans le domaine médical à l’énoncé syntaxique dans le domaine linguistique en passant par le commutateur audio professionnel dans le domaine de la régie sonore. C’est également un modèle de scooter et d’hélicoptère, un concept philosophique, un smartphone, un moyeu de bicyclette, une revue scientifique, un compositeur de son trance-club, un roman d’Henry Miller, un groupe de rock, une équipe de paintball britannique, un ordinateur, un groupe de catcheurs américains, un jeu de donjon et accessoirement une anomalie temporelle dans la série Star Trek. Peu de mots sans doute couvrent un champ sémantique si étendu.

Nexus est également – depuis le mois de mai 2011 – le titre d’une exposition collective imaginée par un groupe d’artistes et théoriciens (la forme des idées) associé au collectif Glassbox en partenariat avec l’Espace d’art contemporain HEC. Les oeuvres présentées dans ce cadre ont toutes été pensées lors d’un premier séjour au sein du campus en mars 2011. Elles ont chacune en commun d’offrir un point de vue singulier sur l’espace HEC, le campus et son rayonnement. Les lieux d’implantation – tantôt intérieurs, tantôt extérieurs – ont également été choisis par les artistes eux-mêmes: l’exposition se déploie ainsi sous la forme d’un réseau sans parcours prédéfini, à l’image sans doute des relations multiples qui peuvent s’établir entre les oeuvres, aussi différentes soient elles les unes des autres (à l’instar des multiples significations du mot nexus).

La notion de cliché – par exemple – relie facilement plusieurs propositions. Quelle image se fait-on d’une école comme HEC? Pour s’en faire une idée plus précise, Florelle Michel, dans le respect intransigeant des règles du marketing, réalise un sondage auprès d’un panel diversifié et représentatif du grand public. À partir des réponses obtenues, transposées sous la forme de motifs stéréotypés proches du logo publicitaire, elle réalise une série d’affiches qu’elle accroche ici et là, simulant un affichage sauvage, en contrepied ironique de l’accrochage officiel.

Geoffroy Sanchez part lui du cliché éculé du campus américain, en tant qu’espace privilégié de la fiction anglo-saxonne, et plus précisément du roman de Bret Easton Ellis Les Lois de l’attraction, repris au cinéma par Roger Avary. La découverte d’un site ou d’une situation réelle est souvent conditionnée par notre expérience antérieure de situations similaires même fictives. Sur ce principe, et par le biais d’une simple plaque commémorative (hommage à l’un des protagonistes de la fiction), l’artiste décide de relier l’espace réel du campus HEC à la vision romancée et marquante d’Ellis.

Pas de campus sans association sportive, tournois, rencontres et autres jeux d’équipes. HEC ne fait pas exception. Étrangement, il ne règne pas dans les écoles d’art un goût aussi unanime pour le sport et la compétition sportive. Cliché ou réalité? Quand cela semble bien loin des préoccupations de l’artiste, la carrière du manager paraît – elle – directement liée à cet esprit de compétition et d’équipe auquel le sport donne sa pleine expression. Pour tordre le cou à de tels préjugés, Stéphane Despax organise alors un match de volley entre quatre joueurs de l’équipe HEC et quatre étudiants de l’école des beaux-arts de Montpellier. La rencontre est filmée dans les règles de l’art et retransmise en différé sur les écrans d’information du campus. Un étrange trophée est créé par l’artiste pour l’occasion et remis aux vainqueurs, le jour du vernissage de l’exposition Nexus, par le directeur général de HEC Paris en personne. Ce trophée rejoindra finalement – était ce prévisible? – la collection des prix remportés par HEC. Il y maintiendra durablement en suspens la question du rapport entre compétition et management, cela au moins par son énigmatique apparence qui ne manquera pas de susciter bien des interrogations comparée aux autres.

Ludovic Sauvage s’arrête lui sur un aspect plus intime et privé de la vie du campus: l’unité d’habitation, la chambre d’étudiant. À partir d’un plan fixe en extérieur sur une loggia de la résidence, et à l’aide d’un logiciel de simulation architecturale, il rejoue artificiellement à l’image les variations lumineuses d’une journée entière. En accéléré, le plan fixe devient une boucle vidéo de quarante secondes qu’il projette sur un mur aveugle du campus. Le jeu reconstitué des ombres portées exprime ici le temps qui passe, métaphore revendiquée de la peinture comme phénomène lumineux, à mi-chemin entre Claude Monet et Ed Ruscha. L’ombre d’un palmier marque explicitement l’artifice et la transposition de cette portion de réel: nouvelle projection du spectateur en pleine fiction.

Guillaume Combal transpose également l’existant dans une autre dimension. À plusieurs endroits sur le campus, il propose aux passants de se connecter à un site Internet par le biais d’un flashcode (pictogrammes reconnaissables par les smartphones via une application gratuitement téléchargeable). Sur ce site, le visiteur découvre une vue panoramique à 360° précisément enregistrée à partir du lieu même où il se trouve, quelques jours auparavant. Quelle différence alors entre ce qu’il voit à l’écran et ce qu’il voit autour de lui? Aucune sans doute, encore que… En y regardant de plus près, les choses pourraient ne plus être tout à fait les mêmes…

En effet, entre réel et virtuel, les oeuvres d’art s’imposent souvent comme des simulations troublantes. Michel Martin imagine pour sa part une exposition d’oeuvres d’art toutes empruntées aux entreprises membres de la Fondation HEC. Improbable accrochage, dont on se plait à imaginer l’effet d’ensemble en consultant le plan qui le décrit. Quelle image de l’école pourrait bien restituer une telle sélection d’œuvres?

À sa façon, cette proposition interroge le rayonnement du campus. De même, les trompettes expérimentales d’Élisabeth Pecheur symbolisent de prime abord la portée internationale de sa renommée. Elles prennent cependant modèle sur une corne de brume. Dans l’écho lointain des trompettes, faut-il reconnaître la sonorité mélancolique de l’avertissement?

C’est peut-être également sur le registre de la vanité contemporaine, qu’il faut comprendre le rapprochement singulier qu’opèrent Laetitia Delafontaine et Grégory Niel entre variations boursières et hit-parade. Le monde économique tressaute sous l’effet du moindre infléchissement de cotation? Qu’il danse! À chaque valeur est attribué un titre musical. À la hausse ou la baisse, les plus fortes variations décident de la playlist, elle-même associée à une animation lumineuse de dancing qui projette, sur le sol et à chaque transition, les signes avertisseurs de croissance et de décroissance. Ce dance floor d’un genre nouveau ne fonctionne qu’aux horaires d’ouverture de la bourse de New York, en lieu et place du hall d’honneur de l’école.

La particularité du projet Nexus était d’associer plusieurs regards sur un même objet, en l’occurrence le campus HEC. L’approche de Gianni Gastaldi est celle de la philosophie et de l’écriture. À travers la métaphore du labyrinthe, il en suggère une lecture éclairante qui ne manque pas de tresser de multiples ramifications avec les oeuvres exposées. 

Philippe Coubetergues, critique d’art