L’Envers du vide, laissé par la pierre de l’entrée
Laurence De Leersnyder
C’est une équation à trois termes que Laurence De Leersnyder reformule à chaque invitation: un matériau, un geste, un espace.
L’Envers du vide, laissé par la pierre de l’entrée
Résidence, Installation
03.2013
Lieu
Campus HEC
Dans son atelier, elle expérimente des liens entre gestes et matériaux. Dans les espaces où elle est invitée à intervenir, elle projette une forme. Pas d’idée préalable, pas de concept sous-jacent, mais une attention au faire. Pas de hasard non plus: il ne s’agit pas de laisser la matière opérer à sa guise.
L’artiste choisit lesdits matériaux pour des propriétés physiques, symboliques ou esthétiques qu’elle fatigue, voire contrarie. Du bois, du béton, du plâtre, de la terre, entre autres, à contre-emploi, souvent. Au fur et à mesure des opérations plastiques, les murs de l’atelier se remplissent de miniatures en cire, en plâtre, des Fragments d’atelier qu’elle a récemment présentés, disposés sur des étagères-architectonies, dans l’exposition Grey Matter [1].
Ces essais sont les témoins de ce qu’elle définit comme une «connaissance empirique», un «savoir-faire qui [lui] est propre». De là, des procédures s’établissent et des séries s’élaborent, sans que la dimension processuelle du travail ne se confonde jamais avec une posture in progress. La forme finale – achevée, parachevée – est héritière de l’Antiform, où le matériau vient buter, au propre et au figuré, contre la géométrie des volumes et la simplicité des manipulations.
Quelles sont-elles, ces manipulations? On pourrait noircir deux feuilles de papier d’une «liste de verbes», à l’instar d’un Richard Serra [2]: creuser, étirer, verser, etc. On pourrait aussi bien n’en choisir qu’un seul: retirer. Toujours, quelque part, retirer: que ce soit physiquement, mentalement, métaphoriquement. Dessiner une croix à la mousse polyuréthane dans un moule carré, remplir les interstices restants de plâtre, puis ôter la mousse et le coffrage [3]. Plonger la main dans la terre, ménager un creux, puis couler dans ce moule la matière d’un volume à venir [4]. Tasser de la terre dans un parallélépipède rectangle, puis séparer le pilier de terre de son coffrage en bois pour, parfois, faire apparaître une crête en bas-relief sur des panneaux bakélisés [5], parfois, faire s’ériger de friables stèles sans destination [6].
Agglomérer du bitume de rebouchage sur une surface, comme l’empreinte factice d’un nid-de-poule dans une route, relever au mur cette étrange cartographie, insulaire, escarpée, volcanique [7]. En somme: élaborer des formes du retrait – dans toute l’acception du terme.
Marie Cantos
septembre 2014, galerie Laurent Müller, Paris.
Richard Serra, Verb List, 1967-1968.
Moule Perdu – Plâtre III (2012).
Volumes en creux I, II et III (2012).
Lignes de terre I (2012).
Colonnes de terre I, II et III (2013).
Empreinte de bitume (2013).
Née en 1979, Laurence De Leersnyder vit et travaille à Paris. Les œuvres de Laurence De Leersnyder sont le résultat d’expériences. Le processus, l’expérimentation, s’ils ne sont pas rendus visibles, se devinent lorsque l’on prend le temps de déchiffrer ces formes dont on perçoit au premier abord l’étrangeté, voire l’incongruité. Ses œuvres contiennent la trace d’actions, naturelles, liées au temps ou humaines - la sienne, sur la matière.