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Imagine
Sean Hart

Sean Hart travaille dans les interstices de la ville. Sa création défie le cadre légal qui régit notre société normée.

Imagine

Résidence, Installation
03.2015 — 04.2015

Lieu
Campus HEC

Sean est un artiste qui travaille dans la rue, sans pour autant s’approprier le label de «street artist», trop réducteur à son goût. En avril 2015, il investit HEC Paris pour la deuxième fois. Brève mais efficace, son intervention laisse des traces auxquelles le campus ne peut se dérober. Il interagit avec le lieu physique et avec ses acteurs principaux, les étudiants. L’artiste confronte l’école de commerce à son propre imaginaire. Il distille les paroles d’Imagine, l’hymne pacifiste de Lennon et les retranscrit sur des panneaux accrochés dans la forêt de HEC. Une errance en ce paysage invite chacun à rencontrer son travail. «Imagine all the people sharing all the world»: les paroles de Lennon sont opposées à la logique d’optimisation des profits… une quête de nouvelles synergies?

Sean va s’immiscer dans le quotidien des étudiants en les abordant sur le campus. Il leur propose de participer à un bref entretien filmé pendant lequel il leur demande: «Une peur? Un message?» Mis à nu, face à la caméra, ils répondent avec franchise, cynisme et humour. La rencontre est inédite pour la majorité des étudiants: ceux-ci ignoraient l’existence de l’Espace d’art contemporain (lieu où se déroule l’entretien) et se confrontent pour la première fois à un art dynamique qui vient à leur rencontre. Sean observe un formatage de leur parole imprégnée de leur apprentissage scolaire. Humour et ironie pour combler une peur profonde d’un monde inconnu?

Ce constat marque Sean, dont le coeur de métier consiste à libérer la parole. Parlé, écrit ou corporel, le langage nourrit son travail. Membre d’une compagnie de théâtre itinérante, il parcourt le monde en découvrant de nouveaux lieux qui se transforment inévitablement en espace d’expression. Au printemps 2011, à Rio, il dessine une typographie qu’il nomme Mydriasis et se sert de celle-ci pour illustrer ses textes courts composés en fonction du lieu. Sean essaie toujours d’écrire dans la langue locale. Là où il passe, il marque son territoire par les mots, souvent inspirés du langage théâtral: en sa forme la plus simple, «Improviser», ou bien des extraits de pièces, dont Macbeth, «Salut, roi que tu vas être!», qu’il joue avec sa compagnie. Il entre en contact avec des interlocuteurs locaux qui lui permettent d’afficher des textes sur leurs lieux d’habitation. Au coeur de Brazzaville, naguère déchirée par la guerre civile, résonnent ses mots: Bolingo Boyokani (Amour et Harmonie).

L’artiste entretient un rapport symbiotique avec la parole et le langage, qu’il met en scène dans ses oeuvres de rue. Il définit un nouveau rapport à l’intertextualité: une fois dite, la parole est écrite et vit désormais sur le mur. Sujet aux aléas de la nature, le mot s’adapte au temps. La documentation de son travail passe par la photographie, la vidéo ou Google Street View. Lors de cet archivage, il appose la traduction du texte peint en utilisant le procédé du sous-titrage cinématographique. Cette forme de traduction évoque un arrêt sur image d’un film. Mais l’oeuvre véritable reste celle trouvée dans la rue; les photos et vidéos deviennent les archives dynamiques du langage articulé dans le tissu urbain. Le mot, tout comme la vie, «est mouvement», déclare-t-il. Plurielle, la lutte contre l’uniformité et l’autorité se manifeste de jour et de nuit.

Sean est un activiste. Il agit par le mot au rythme de son affichage effréné dans les métros et bus urbains. Sa parole voyage, tout comme celle de ceux qui nourrissent son univers intellectuel – Dieudonné Niangouna, Chris Marker, Barbara Kruger, Jim Jarmusch, Angela Davis, Jean-Luc Godard… Dans son travail, la parole aide l’art à fissurer l’institution. Formé à l’École des arts décoratifs de Strasbourg, il rompt rapidement avec le moule, un «cocon» microcosmique, de la société. Cela ne l’empêche pas d’interagir de manière ponctuelle avec le monde institutionnel de l’art contemporain. Il participe au Art Basel de Miami en décembre 2015 et, en janvier 2016, il occupe légalement pendant trois mois le réseau de transport lyonnais avec un projet nommé Étranges étrangers. Soit, la vente et commissions de pièces assurent une légitimité, mais le travail dans la rue n’a pas de prix. La parole y est émancipée; le propos, imprégné d’une brutalité inexistante en institution. Le comble pour un artiste de rue, selon lui? Lorsque le travail légal finance le travail illégal.

Sean n’est donc pas prêt à mettre fin à ses errances nocturnes ou à son détournement subtil de l’univers institutionnel. Où sera-t-il demain? Who knows? Impossible de le capter. Le fantôme du métro a toujours un train d’avance.

Madeleine Planeix-Crocker

Né en 1981 à Lyon, Sean Hart vit en région parisienne. Artiste pluridisciplinaire, issu du monde du street art, il développe une démarche conceptuelle au travers d’installations qu’il pense et conçoit dans l’in situ. Ses œuvres peuvent prendre la forme d’actions vandales ou d’interventions pensées en partenariat avec des institutions dans l’espace public.