Toile de Jouy
Regards contemporains
Dans le cadre du Bicentenaire Oberkampf, le Musée de la Toile de Jouy et l’Espace d’art contemporain HEC se sont associés pour inviter plus d’une quarantaine d’artistes internationaux à porter un regard contemporain sur la toile de Jouy.
Toile de Jouy
Exposition
05.2015 — 10.2015
Artistes invités
Igor Antic
Corine Borgnet
Sharon Kivland
Atelier Parades
Marie Lepetit
Laurence De Leersnyder
Athina Ioannou
Benjamin Sabatier
Kouka
Ludovic Sauvage
Hélène Garcia
Actions Anonymes SA
Yveline Tropéa
Stéphane Ruchaud
Éric Perez
Aurélie Mathigot
Antonello Curcio
Glassbox & Marlène Bouana
Lieu
Espace d’art contemporain HEC
L’histoire de la toile de Jouy se trouve imbriquée dans l’économie autant que dans l’artistique, et cette complicité étroite justifie, s’il en était nécessaire, la présence, sur le campus et au sein de l’Espace d’art contemporain HEC à Jouy-en-Josas, de ces «regards contemporains» portés par une vingtaine d’artistes sur cette entreprise esthétique.
Grâce aux progrès de la navigation, le XVIIe siècle français connaît un fort développement du commerce, et par conséquent un essor de l’importation de matières, comme de manières de faire, étrangères. La mode s’empare du goût pour les toiles des Indes réalisées selon un procédé d’impression sur coton à la planche de bois permettant des décors variés et raffinés qui plaisent à la population française. Pourtant la prohibition tombe en 1686 sur ces toiles de cotonnade et la France en perd le savoir-faire.
Lorsque l’interdiction en 1759 est levée, l’Allemand Christophe-Philippe Oberkampf (1738-1815), graveur et coloriste issu d’une famille luthérienne de teinturiers, vient s’implanter à Jouy-en-Josas, où «l’eau est pure et la terre abondante», pour y installer sa manufacture. C’est donc ainsi que naît la fameuse toile de Jouy, qui fera la renommée du lieu. Cette entreprise devient royale en 1783. Son apogée se situe sous l’Empire, vers 1806, où la manufacture devient la troisième entreprise française. En trente ans, Oberkampf, entrepreneur avisé, a multiplié son placement initial par 20000. Dès sa naissance, cette affaire, qui deviendra une success-story, démarre sous des auspices internationaux et une gestion dynamique générant d’importants bénéfices. L’audacieux Oberkampf réunit autour de lui artistes, dessinateurs, graveurs, imprimeurs, coloristes qui mettent au point ces fameux motifs paysagers et floraux. Traités en camaïeux, ces motifs dans lesquels se promènent des groupes d’humains et d’animaux vont assurer la gloire de la toile de Jouy, au point d’en faire une référence de bon goût dans l’ameublement, la mode et la décoration. Dès le début, sa clientèle est des plus huppées: les grands de l’époque sont séduits par la variété et l’élégance des sujets reproduits. Cela vaut l’anoblissement d’Oberkampf en 1787 obtenu de Louis XVI.
Et plus tard, lors de sa visite à la manufacture de Jouy, Napoléon fut très impressionné par cet entrepreneur dynamique, toujours à la pointe des avancées techniques. L’Empereur détachera de sa boutonnière sa propre croix d’honneur pour la remettre à Oberkampf en disant que: «Personne n’était plus digne que lui de la porter». Sous l’impulsion d’Oberkampf, plus de 30000 décors seront ainsi créés.
Le dialogue entre les cultures contribue à l’originalité et constitue une des pierres d’angle de la notoriété de la toile de Jouy. La personnalité de son créateur y est pour beaucoup: Européen avant la lettre, pionnier de la révolution industrielle, avant-gardiste dans son approche des affaires et des hommes, stratège d’entreprise, tout autant que producteur, commerçant et employeur. L’industrie de tissus imprimés d’Oberkampf devient la plus grande manufacture d’Europe, employant 1237 personnes.
À l’occasion du bicentanaire de la mort d’Oberkampf, l’Espace d’art contemporain HEC a invité des artistes n’utilisant pas comme matériau habituel la toile de Jouy, afin de concevoir de nouvelles propositions et de mettre en lumière les enjeux politiques, économiques et esthétiques sous-jacents. Les diversités propres à l’art du XXIe siècle se révèlent à travers les techniques employées (crochet, broderie, peinture, sérigraphie, photographie, vidéo, sculpture, moulage, empreinte, dessin, écriture, installation) et la variété des médiums utilisés (bois, béton, plâtre, tissu, textile, papier, résine, plastique). Chaque artiste a reçu carte blanche pour inventer sa contribution. S’emparant de l’ADN de la manufacture de la toile de Jouy, chacun en a prélevé la substantifique moelle. Les uns ont choisi de se concentrer sur le processus de création et les techniques de fabrication; d’autres, sur les motifs et leurs évocations multiples ou encore sur la pratique de l’auteur ou du travail collectif. Certains ont mené une réflexion sur l’histoire croisant l’économie, quand d’autres encore se sont attachés à donner leur interprétation du langage en jouant avec le champ lexical de la manufacture.
Cette exposition offre la possibilité de regarder, par le prisme de l’art contemporain et ainsi par une vision décalée, l’histoire d’un textile qui s’inscrit dans la trame des relations entre l’Inde et l’Occident, entre fascination et colonisation, l’histoire d’une industrie très emblématique aussi de l’essor industriel et évocatrice des profondes mutations des entreprises industrielles dans le contexte de la mondialisation actuelle. Toutes ces propositions reflètent bien la richesse d’approches que peut susciter dans l’imaginaire collectif l’évocation des «toiles de Jouy» devenues presque mythiques.
Isabelle de Maison Rouge, critique d’art