PP044

This Must Be The Place

This Must Be The Place

Publication
2014

Coordination générale
Anne-Valérie Delval et Maxime Chevillotte

Conception graphique
Atelier trois

Editeur
Espace d’art contemporain HEC

Des images, des palmiers et de la lumière

Un ensemble de dix cadres, pouvant se lire comme cinq diptyques, témoigne en préambule du travail de découpage et de montage que l’on retrouvera dans la suite du dispositif. Entre collages et projection vidéo, Ludovic Sauvage met en espace les archives du campus. Cette problématique formelle du passage entre le bidimensionnel et le tridimensionnel est récurrente dans son travail: elle intervient ici suivant des modalités très diverses.

Dans la projection sur affiche, elle est traitée sous l’angle de la répétition. L’artiste utilise le procédé classique de la mise en abyme — il inclut dans une photographie d’archives son propre duplicata réduit, qui lui-même contient son homothétie rétrécie, et cela indéfiniment — tout en tirant l’ensemble vers l’avant par le recours à l’animation. La photographie se mue alors en une sorte de travelling quasi psychédélique qui emporte le regard vers le fond de l’image.

Le miracle tient au fait qu’elle se dote d’une profondeur. La séquence d’animation se promène toujours plus loin, au plus profond de ce qui pourtant n’est qu’une surface. L’astuce, c’est que Ludovic Sauvage parvient à créer l’illusion du déplacement sans pour autant renoncer à l’unicité de la photographie d’archives qu’il a utilisée: nulle autre vue, aucun autre élément que cette seule image ne compose le travelling, s’éloignant à l’infini à l’intérieur de son unique surface. On pense au mandala et à son mouvement immobile vers le dedans.

Ce paradoxe — qui met en scène une image tournant sur elle-même — ainsi que sa coloration formelle à la fois cinétique et psychédélique inscrivent la pièce dans l’héritage seventies, en mêlant réflexivité, méditation et transe. L’ensemble se voit rationalisé par la rigidité moderniste d’une architecture post-Corbusier. C’est à dessein que ces deux moments de l’histoire de l’art se rencontrent. Dans l’image fixe, Ludovic Sauvage n’inocule point de récit : par l’évocation de ces deux époques, il ouvre une béance temporelle propre à la narration. Véritable image dialectique, le sens de l’évènement se tient dans la rencontre de temps hétérogènes plutôt que dans un déroulé linéaire. C’est cette collision qui ouvre à la mise en récit. On retrouve ce passage de la vue photographique fixe à la séquence animée dans l’autre projection de l’installation. Cette fois, il s’agit d’une photographie de l’hôtel Valbièvre, tirée elle aussi des archives du campus et datant des années soixante-dix. Projetée sur un mur en béton brut, elle est animée par l’adjonction d’ombres fictives autour du bâtiment.

D’abord objets figés — photographie d’archives et plantes de bureaux, le dispositif les tire vers une prise de consistance temporelle: les ombres modélisées en 3D qui courent autour du bâtiment dessinent un nouveau jour à chaque nouvelle boucle, le temps s’écoule à la vitesse du vent et rien ne se passe.

En fait, l’image ne s’inscrit que partiellement dans le temps: quelque chose se déroule, mais rien ne change jamais. Tandis que dans la première animation, on parcourt un espace immobile, ici on assiste à la projection dans le temps d’un objet figé. La vue photographique fait état d’un hôtel de prestige. Ce bâtiment, à condition de se décaler légèrement, se tient en face des fenêtres de l’exposition, mais il a disparu, coffré sous les traits d’un nouvel hôtel, aux lignes plus neutres. Douze cache-pots aux formes modernistes, identiques à celles de l’hôtel mais construits dans le matériau qui habille les murs de l’exposition, font le lien entre le passé et le présent du campus. Les plantes, caractéristiques de l’ameublement de bureau, installent l’œuvre dans le formalisme du lieu qui l’accueille.

Coincée entre image-icône et image-mouvement, la vue de l’hôtel Valbièvre montre un état à part entière dans le processus architectural, celui du projet. La vie ne peut pas rentrer à ce stade. Une rédemption narrative se fait pourtant jour : si le récit n’advient ni dans le déroulé des images ni dans l’alignement des palmiers, une histoire édifiante et mystérieuse reste pourtant palpable, involuée dans les décalages temporels des fragments qui la composent et dans le halo de la lampe de salon qui tranche avec le décorum standardisé du reste de l’installation. Les Talking Heads nous le répètent: This Must Be The Place.

Clémence Agnez, critique d’art