PP027

Répétitions
Myriam El Haïk

Répétitions

Résidence, Installation
07.2012 — 12.2012

Lieu
Campus HEC

Au départ, il y a le corps de l’élève: l’apprentissage passe par le dressage de ce corps. Il faut répéter pour savoir, et répéter à l’infini pour être sûr de se souvenir. Dans son cahier de punition, l’écolier se corrige: il prend à sa charge son éducation en imitant le modèle canonique. Il sait que l’enjeu est crucial. L’assimilation du canon par l’élève est la condition de possibilité de l’assimilation de l’élève par le groupe. C’est une affaire de normes: l’individu n’est soluble dans le groupe que si la norme est soluble dans l’individu. En acceptant la contrainte, il parvient d’abord à intégrer la communauté, puis à s’engager sur le chemin du libre arbitre, entendu comme positionnement relatif à une norme communautaire.

Ce point d’inflexion, ce moment de maturité partielle durant lequel coercition acceptée et affirmation de soi se touchent, est le lieu du travail de Myriam El Haïk. À travers la contrainte et malgré la répétition lancinante, un glissement s’est opéré vers la revendication de sa propre singularité: la volonté s’affermit dans le retour opiniâtre du même motif. Ce signe espiègle, qui singe le langage des autres sans pour autant y appartenir, ne renferme d’autre signification que l’expression d’une existence irréductible à toute autre. De signe, il devient signature. Sur le campus HEC, il recouvre les vitres, les écrans, les boîtes aux lettres des étudiants. L’élève docile s’est mué en créateur souverain, sorte de muse Écho mal enchaînée à sa malédiction. Ce que Myriam El Haïk aligne sagement à l’infini, ce ne sont plus les mots des autres, mais le signe qu’elle s’est choisi, expression insolente d’une identité propre. Cette mise en tension entre aliénation et libération est le fruit d’une pratique déviante de la répétition.

Elle se retrouve au coeur du travail sur les baies vitrées, dans lequel les piges s’affranchissent du support qui les enferme. Prises entre ciel et terre, les lignes de punition suivent le chemin du cancre, du rêveur, du distrait. Elles s’échappent du cahier et passent par la fenêtre. Nulle école buissonnière pour les performances dansées et les pièces sonores de Myriam El Haïk fermement tenues dans un espace clos et composées de modules inaltérables: nous assistons à l’émergence d’une sorte de langage élémentaire. Les décalages qui s’introduisent dans le retour du même motif perturbent le rythme et nous conduisent à travers une infinité de combinaisons musicales ou spatiales. La naissance du langage se tient ici, dans l’enfermement atomique du nombre fini de ses lettres et dans l’ouverture à l’infini des possibles assemblages de ses blocs. La pratique de Myriam El Haïk relève de ce paradigme: elle procède par langage et parle de ce qu’est la langue. Celle-ci est à la fois la méthode et le sujet de son travail. On y éprouve l’effroi sublime du petit enfant, pour la première fois dépassé par l’idée de la combinatoire. Le langage alphabétique, bien que corseté dans son abécédaire, ne souffre aucune limite. L’échappée immobile de la langue permet de se propulser à l’infini sans pour autant quitter l’arène close de sa base élémentaire. Elle dévoile la part proprement mystique qui loge au coeur de l’alphabet: l’impossible dialectique qui tient ensemble les notions d’enfermement et d’infini, où chaque point de clôture contient en même temps sa propre ligne de fuite.

Clémence Agnez, critique d’art

Née 1973 à Rabat, elle vit et travaille à Rabat et Paris. Son travail récent explore l’écriture répétitive: des signes simples faisant implicitement référence à des lettres arabes répétées de droite à gauche, de haut en bas. Gribouillage rapide, ainsi que notation minutieuse, ces motifs sont travaillés aux feutres de couleurs, tantôt sur papier, comme dans ses cahiers, mais aussi directement sur le mur. La création de ces motifs nourrit un autre axe de son travail, la performance, où l’acte de dessiner est au centre de la représentation.