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Quinze ans d’art à HEC
Espace d'art contemporain HEC 1999-2014

Apprendre à regarder,
Apprendre à se questionner,
Apprendre à douter,
Apprendre à oser,
Apprendre, tout simplement!

Quinze ans d’art à HEC

Publication
2013

Coordination 
Anne-Valérie Delval 

Conception 
Maxime Chevillotte & Anne-Valérie Delval 

Conception graphique 
Annick Volle 

ISBN
978-2-9543844-0-5

Editeur
Espace d’art contemporain HEC

«Apprendre à regarder.» C’est avec cet objectif qu’en 1999 l’entrepreneur et collectionneur Paul Dini, ex-président des anciens HEC puis de la Fondation HEC, suggère à la direction générale du campus de se rapprocher de la création plastique émergente.Rapidement, HEC engage une réflexion avec l’artiste plasticien Daniel Firman et le galeriste Bernard Zürcher. Chargée de mission auprès de Bernard Ramanantsoa, directeur général de HEC Paris, le pilotage du projet m’est confié. De cette rencontre est né un dispositif original: l’Espace d’art contemporain HEC.

Une aventure inédite

Alors atypique dans le monde éducatif français, cette démarche est courante dans l’univers anglo-saxon et dans les pays du Nord de l’Europe. Nous décidons donc d’expérimenter une aventure inédite, qui se révèlera d’une extraordinaire richesse humaine et intellectuelle.

Depuis lors, entreprises, universités, grandes écoles multiplient leurs relations avec la scène artistique contemporaine, les initiatives ne cessent de se diversifier et de s’enrichir. Dès 1985, sous l’impulsion de ses professeurs, HEC a proposé une spécialisation puis une majeure «Management des arts et de la culture» sous la houlette d’Yves Evrard. Ces enseignements seront complétés par la création d’un mastère spécialisé devenu «Médias, Art et Création» sous la direction de Nicole Ferry-Maccario, et aujourd’hui sous la responsabilité de Thomas Paris.

Si sur le plan pédagogique le campus HEC s’est impliqué de longue date dans les secteurs culturels, il nous a fallu inventer un savoir-faire que nous ne maîtrisions pas pour concevoir des expositions, produire des œuvres originales et accueillir des artistes en résidence. À partir de 1999, la mise en oeuvre de l’Espace d’art contemporain HEC est effective et progressive. Son développement et sa structuration nécessitent plusieurs années de maturation et d’apprentissage. Beaucoup d’énergies sont investies pour instaurer des procédures de gestion et d’organisation, trouver des solutions juridico-comptables, activer de nouveaux réseaux et créer des outils de communication adaptés.

Au fil du temps, la programmation s’affirme. Désormais, résidences d’artistes, expositions, enseignements dédiés, publications et séminaires de réflexion sont proposés chaque année. Dès l’origine, les collaborations et les partenariats sont privilégiés afin de concevoir une programmation sélective en phase avec le positionnement de HEC et les préoccupations de son environnement sociétal. Grâce aux liens de confiance tissés au gré de ces fidèles collaborations, artistiques ou institutionnelles, de nombreux projets s’enchaînent.

Une organisation collective

Activité transversale par essence, l’Espace d’art contemporain HEC s’infiltre dans l’ensemble des rouages du campus dont les ressources ont démontré leur compétence en se mettant à l’écoute des besoins spécifiques des artistes. Les services techniques et logistiques, les espaces verts, la résidence, l’imprimerie, la restauration permettent de mener avec succès des projets originaux, difficiles à concevoir dans un autre contexte.

Les réalisations requièrent une organisation collective harmonieuse et la participation de nombreux collaborateurs du campus. Largement sollicités, les services généraux concourent au montage et à la production des œuvres. Ils contribuent activement à l’organisation des vernissages, hébergent et accueillent les artistes invités. Fréquemment mobilisés, l’audiovisuel, les moyens informatiques et la bibliothèque coopèrent résolument à nos activités.

Un terrain d’exploration hors-norme

En l’absence d’une salle d’exposition dédiée, les propositions artistiques se déploient sur l’ensemble des infrastructures du campus. Ce territoire exceptionnel de plus de 130 hectares permet aux artistes d’explorer de nouvelles approches.

Le parc, les salles de cours, les couloirs, la bibliothèque, la «galerie informatique» accueillent des expositions ou des installations temporaires. Des cimaises sont conçues pour être montées, en fonction des besoins, dans différents lieux, notamment dans le mythique hall d’honneur, un espace de plus de 800 m2 inauguré en 1964 par le général de Gaulle.

Un dispositif polymorphe

En 2000, Intersection 1 intime/anonyme, exposition collective, marque formellement la naissance de l’Espace d’art contemporain HEC. 

En 2002, l’exposition Teamwork: l’art comme travail d’équipe organisée avec la Deutsche Bank regroupe une centaine d’œuvres sélectionnées dans leur collection qui en compte plus de 50000, le plus important fonds privé d’art contemporain au monde. Par la suite, des expositions personnelles sur le campus et hors les murs – à Paris et à l’étranger – enrichissent l’ensemble de nos réalisations.

En 2001, Daniel Firman inaugure la première résidence d’artiste, expérience qui sera suivie par de nombreuses autres. Le principe de ces résidences est d’accueillir au sein de notre «mini-monde» un artiste ou un collectif d’artistes et de lui donner carte blanche afin de réaliser une ou plusieurs œuvres au sens le plus large. Les artistes invités s’imprègnent du contexte, des valeurs, des flux de circulation, des langages spécifiques, des outils de communication utilisés ou des représentations. Nous proposons une assistance, essentiellement financière parfois humaine ou technique, à la production.

Vidéos, photographies, œuvres typographiques, sculptures intérieures ou extérieures, les œuvres réalisées sont polymorphes, éphémères ou semipérennes. Il peut s’agir de sculptures de chaises, de tableaux photographiques ou encore d’installations…

Pour compléter le dispositif, des conférenciers, des théoriciens de l’art sont régulièrement invités, des architectures pédagogiques et de réflexion sont conçues et mises en oeuvre. Isabelle de Maison Rouge, Jean-Marc Huitorel, Ghislain Mollet-Viéville, Élisabeth Couturier, Françoise Darmon, Clément Dirié, Valérie Bobo, Julien Eymeri, Hilario Galguera sont par exemple intervenus. 

En février 2013, Daniel Buren et André Orléan sont venus débattre sur la notion de la valeur lançant ainsi un long

processus de réflexions centré sur cette thématique. Des visites commentées de musées, de centres d’art ou d’ateliers d’artistes, des rencontres et des workshops sont également proposés aux élèves et à la communauté HEC. Chaque vernissage fait l’objet d’une médiation particulière. 

Depuis 2009, des ouvrages sont publiés à l’issue des principaux projets artistiques et s’inscrivent dans une collection récemment créée.

Une curiosité partagée

Selon les réalisations, chacun sur le campus est invité à devenir acteur ou coproducteur des œuvres. En 2010, le projet photographique Portraiture d’Annick Volle réunit cinquante et une personnes du campus – étudiants, professeurs et personnels.

Pour Combien vaux-tu? Société pour l’évaluation des humains, l’artiste plasticien Igor Antic et Andreu Solé, professeur à HEC, mènent, en 2008, une réflexion commune sur la notion de valeur. Une exposition itinérante dans différents pays d’Europe et une publication formalisent cette collaboration.

Avec le temps, des attentes sont suscitées: désireux de découvrir ou de participer à de nouvelles expériences sensibles, un public fidèle et curieux appréciant la confrontation des regards s’implique.

Difficultés et doutes

Dans le contexte particulier d’une business school, la question de la pertinence d’une telle expérimentation est légitime. Présent dès l’origine, ce doute a pu être renforcé par les difficultés rencontrées. Partie intégrante du dispositif, ces écueils constituent paradoxalement la meilleure illustration des fondements de cette initiative. Ils révèlent la résistance au changement à laquelle nous sommes tous potentiellement confrontés. À HEC, comme dans n’importe quel autre lieu public, il est naturel que des propositions artistiques innovantes fassent l’objet d’un accueil parfois mitigé, qui peut se traduire par des incivilités ou par du «sabotage bienveillant». Limités à une poignée d’individus, ces comportements s’expliquent notamment par une méconnaissance de l’histoire de l’art, en particulier de la création contemporaine. Sans préoccupations spécifiques pour l’art de son temps, ce public peut se trouver décontenancé face à certaines œuvres minimales, conceptuelles, immatérielles, ou qui ne répondent pas aux critères de «beauté» habituellement admis et reconnus. N’est-ce pas là qu’une expérimentation de cette nature trouve tout son sens et son intérêt?

Une confrontation salutaire

Les dialogues avec l’histoire de l’art, les évolutions esthétiques, les regards critiques et les interrogations sur le monde en train de se faire sont au coeur des problématiques abordées. Se familiariser avec les œuvres contemporaines, tolérer de nouvelles pratiques artistiques, comprendre l’art de son temps, c’est s’ancrer dans la modernité. Pour paraphraser Paul Dini, nous pouvons dire que HEC n’a pas vocation à «former les cadres de la Compagnie des Indes», mais bien les créateurs et les dirigeants des entreprises de demain.

Ses différents programmes n’ont pas pour objectif de préparer des bataillons de cadres supérieurs, mais des dirigeants visionnaires et des citoyens responsables. Ses enseignements ne sauraient se limiter à la transmission d’outils techniques.

Miroir de nous-mêmes et de la société, l’art questionne le monde.

Exprimer la pensée contemporaine sous une forme plastique est un complément indispensable et nécessaire aux enseignements habituellement proposés. Chacun des protagonistes du campus peut s’enrichir de cette ouverture sur une culture sensible qui interagit avec de multiples secteurs – design, luxe, aménagement du territoire, tourisme, finance, lien social…

L’art communément considéré comme une représentation du monde le décrypte, l’analyse et souvent l’anticipe. Il est perméable et s’intéresse à de nombreux champs, dont ceux de l’économie et du management. Comment, par exemple, ne pas imaginer un parallèle entre la dématérialisation de l’économie et celle de l’art? Art, pouvoir, économie et entreprises sont historiquement liés. Il suffit pour cela de comparer le dynamisme d’une scène culturelle avec celle de son économie: l’Italie et la Renaissance, Bruges et la peinture flamande, la France et les impressionnistes, etc.

Une collaboration fructueuse

Trop souvent considéré comme élitiste en France, l’art contemporain constitue une des bases des références culturelles d’un grand nombre de dirigeants. En amont de HEC, le système scolaire ne délivre que très peu d’enseignements en histoire de l’art, encore moins sur l’art en train de se faire. Il est donc important d’offrir à nos élèves les principales clés de compréhension qui leur permettront d’approfondir, à titre personnel, la sphère de la création contemporaine.

Cette connaissance se révèle d’autant plus précieuse que certains secteurs économiques investissent massivement dans l’art, en privilégiant les collaborations avec des artistes. Le luxe et la publicité ont été pionniers. Dans les années quatre-vingt, L’Oréal a largement repris des éléments graphiques des œuvres de Mondrian pour le packaging de ses produits Studio Line. Lorsqu’elle a exhibé sa robe de viande, Lady Gaga a plagié l’œuvre de l’artiste Jana Sterbak, et peut-être aussi celle d’Orlan pour les excroissances faciales.

Nombreuses sont les entreprises qui s’inspirent de l’esthétique contemporaine en coopérant avec des plasticiens. À titre d’exemple, citons Takashi Murakami et Vuitton. À l’instar de la collaboration entre Cartier et Jean-Pierre Raynaud, des entreprises légitiment leur prestige à l’international. Initialement exposé dans les locaux de la Fondation Cartier alors située à Jouy-en-Josas, Le Pot doré de Raynaud a fait le tour du monde. L’œuvre a été suspendue au bout d’une grue à Berlin sur Potsdamer Platz, exposée pendant trois semaines au cœur de la Cité interdite à Pékin, puis à Beaubourg où elle se trouve désormais. Louis Vuitton, Christian Dior, Cartier, Chanel, Deutsche Bank, Neuflize, Société Générale, Ricard, Lhoist et bien d’autres encore sont significativement présentes dans l’art contemporain au travers de musées, d’expositions, de fondations.

Ce n’est pas un hasard si la plupart des grands bâtisseurs et chefs d’entreprise se sont impliqués dans la création plastique de leur époque. Les artistes mettent en œuvre des processus de création et d’innovation qui nourrissent les managers, les entrepreneurs, mais aussi les chercheurs avec lesquels ils partagent un mode de pensée très proche.

Perspectives

Ces quinze années d’existence nous ouvrent sans cesse d’autres perspectives, de nouvelles opportunités à saisir. Il n’a jamais été question pour nous de faire de la décoration murale, de vendre ou d’exposer de «beaux» tableaux, d’instrumentaliser les artistes, de proposer des ateliers «gommettes», ou de faire de l’événementiel autour des expositions. La démarche est profonde, constructive, respectueuse et porteuse de sens.

Chaque projet marque une étape, qui engendre parfois des difficultés insoupçonnées. C’est aussi et surtout l’occasion de belles rencontres pour quiconque accepte de lâcher prise et de recevoir de grandes «claques» émotionnelles. Les quelques larmes versées, un dimanche après-midi, lors de l’accrochage de deux peintures d’Athina Ioannou resteront dans nos mémoires. Que d’émotions! Et que dire du passage d’Igor Antic sur le campus? Dix ans se sont écoulés et de nombreux collaborateurs en sont encore nostalgiques. L’artiste poète Robert Filliou avait raison: «L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art.»

Tous les artistes invités ont relevé le défi et nous ont aidés à dépasser nos contraintes et à composer avec les limites budgétaires, humaines, sécuritaires, matérielles et techniques. Leur créativité s’est inscrite dans leurs œuvres mais aussi dans leurs démarches. Nous les en remercions ici chaleureusement. La plupart de leurs propositions sont présentées dans cet ouvrage.

Nous sommes persuadés que notre expérience fera des émules. Nous espérons que de nombreuses autres réalisations, plus généreuses encore, verront le jour. Ces artistes nous ont encouragés à penser, à nous questionner, à agir autrement et, selon la formule de Gilles Deleuze, à expérimenter le réel.

Anne-Valérie Delval, Directrice de l’Espace d’art contemporain HEC